Pourquoi faut-il commémorer l’anniversaire de la révolte des banlieues ?
Je ne suis d'aucun parti, mais ce texte de Noêl Mamère mérite d'être relayé.
Il y aura tout juste un an le 27 octobre, la mort dans un transformateur de 2 jeunes de Clichy - sous - Bois, Zyed et Bouna, allumait l’étincelle qui allait mettre le feu aux banlieues. Avec son sens accompli de la provocation verbale et de la mise en scène médiatique, en traitant les jeunes de racaille après leur avoir promis la kärcherisation, le ministre de l’Intérieur exacerbait l’affrontement entre une partie de la population et les institutions.
Ces émeutes sont inédites en France pour trois raisons :
Pour la première fois, leur généralisation s’est étendue à l’ensemble
des territoires urbains. Même dans des villes moyennes, des voitures
ont été incendiées. Ce phénomène de mimétisme est politique à part
entière. Le sentiment d’exclusion d’une partie de la jeunesse est vécu,
au delà des cités dites sensibles, comme l’appartenance à une classe de
parias ;
Un peu comme en 1995, les salariés du privé avaient délégué leur droit
de grève aux salariés du public contre la réforme Juppé, une partie
significative de la population regardait avec empathie la révolte des
banlieues, considérée comme un soulèvement contre les discriminations
et la misère de la vie quotidienne ;
Enfin, le caractère politique de ce soulèvement saute aux yeux. Le
ras-le-bol des contrôles de police à répétition, des discriminations
sociales, ethniques, territoriales, de la stigmatisation et de la
relégation revêt une visibilité qui interpelle toute la société
française. La réponse de l’Etat fût en elle - même une confirmation.
L’état d’urgence qui datait de la guerre d’Algérie était plus qu’un
rappel de l’imaginaire de cette époque. La fracture coloniale entre les
« indigènes » et la République est un aspect majeur de la crise de la
société française d’aujourd’hui.
Le bilan que l’on peut tirer un an après doit tenir compte du caractère fondateur de la crise de 2005 :
La crise de représentation n’est en aucun cas résolue. Le Collectif
« AC ! le feu » a recueilli des cahiers regroupant 20000 doléances
tirées d’une tournée dans 120 villes de France. Force est de constater
à la lumière de ce document exemplaire que les demandes de prise de
parole, de prises en considération, de prises de responsabilité, sont
plus que jamais à l’ordre du jour. Aucune force politique n’en a tenu
compte, notamment dans la désignation de ses candidats aux
législatives. Cette crise s’exprimera à coup sûr au moment des
municipales, peut-être par l’organisation de listes issues de la
révolte des cités ?
La précarité est toujours le lot quotidien de la jeunesse des
banlieues. Les efforts méritoires de Jean Louis Borloo sont dérisoires
et ce n’est pas l’organisation d’un service civique obligatoire, voulu
par l’UMP comme par le PS, qui résoudra cette question. Il faut
maintenant qu’un quota d’embauche soit fixé aux grandes entreprises
concernant l’origine territoriale des demandeurs d’emploi, qu’un effort
significatif soit assuré pour le développement d’entreprises sociales
et solidaires dans ces quartiers, que le service public investisse
massivement les cités populaires, que les crédits et les subventions
aux associations soient à la hauteur des exigences sociales qu’elles
couvrent, bref que la priorité de l’effort soit dégagée à tous les
niveaux
Les discriminations sont toujours au cœur du non dit de la politique
française. Le dernier épisode en date est le scandaleux passage à la
trappe du CV anonyme, pourtant voté par le Parlement. La France
continue à se draper dans son universalisme républicain estimant que
toute visibilité des discriminés équivaut à la reconnaissance des
communautarismes. C’est le contraire qui est vrai. L’indifférence face
aux discriminations nourrit la montée des intégrismes et suscite le
repli sur soi. Le refus du multiculturalisme assumé de la société
française renforce ceux pour qui le citoyen ne peut être que musulman,
juif, homosexuel ou blanc de souche. La présence d’un animateur noir
sur TF1 n’est que le roseau qui cache la forêt des discriminations dans
le domaine du travail, du logement, des loisirs et du rapport aux
institutions. Les notions de respect et de dignité, essentielles pour
les populations qui se sentent abandonnées, sont bafouées
quotidiennement par la police qui intervient comme un corps de
détachement armé. La police de proximité avait certes des défauts mais
elle était en contact avec les habitants des cités dîtes sensibles. Un
an après, l’envoi des troupes de Sarkozy accompagnées des caméras,
comme aux Tarterets ou aux Mureaux, sont en train de donner raison à
ceux qui souhaitent casser définitivement les ponts entre les
autorités, quelles qu’elles soient, et la jeunesse des banlieues, par
la pratique d’actes de violences irréparables.
Toutes ces raisons font que l’anniversaire de la révolte sociale, urbaine et politique des banlieues de 2005 doit être l’occasion d’une mobilisation et d’une réflexion de la société française sur les causes des violences urbaines. Le premier Mai, fête du travail est issu de l’assassinat d’ouvriers de Chicago en lutte pour l’instauration de la journée de huit heures. Le mouvement ouvrier en fit dès 1890 son jour anniversaire, fêté mondialement... La Gay-Pride est la commémoration de la violence homophobe aux Etats - Unis dans les années 70. La banlieue, le lieu du ban, où le seigneur avait le droit d’ordonner, de juger, d’interdire et surtout de faire payer une redevance, s’est transformée en espace de ségrégation. Elle s’est révoltée contre l’apartheid urbain et social dont elle refuse d’être la victime consentante. La jeunesse des banlieues est devenue un sujet social et politique à part entière qui souhaite être reconnu comme tel. Je serai avec elle et avec l’ensemble des habitants, des militants associatifs, des élus locaux, à l’image de mon ami Claude Dilain, le maire de Clichy qui souhaite faire du 27 octobre un hommage à ceux qui désirent transformer nos cités en territoires solidaires. Soyons fiers de nos banlieues !
Noël Mamère
Paris le 23 octobre 2006
Source : Site de Noel Mamère