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23 novembre 2005

Le spectre du communautarisme

LE SPECTRE DU COMMUNAUTARISME

Un livre de Laurent Lévy

http://lmsi.net/article.php3?id_article=479
_________________________________________________________

*Le texte qui suit est extrait du livre que Laurent Lévy vient du
publier aux éditions Amsterdam : Le spectre du communautarisme. Ce
livre est une critique implacable, à la fois radicale, intelligente, précise
et drôle, du discours anti-« communautariste » qui s’est élaboré et
diffusé à grande échelle ces dernières années. Dans le sillage des
analyses de Christine Delphy, Philippe Mangeot, Louis-Georges Tin ou
Sylvie Tissot [1], qu’il prolonge, complète et approfondit, Laurent
Lévy démasque le pseudo-« universalisme » dont se réclament les
« anti-communautaristes », et montre que cet « universalisme » n’est
qu’un communautarisme majoritaire, particulièrement étroit d’esprit,
intolérant et agressif. Après avoir détaillé comment ce communautarisme
majoritaire, qu’il nomme aussi « communautarisme gaulois », se
caractérise par la volonté d’imposer à la société toute entière les
normes de la majorité, il caractérise l’idéal des républicanistes
d’aujourd’hui comme une « République de Procuste », et termine son
livre par les pages qui suivent.*

---------------------------------------------------------

C’est ce souci républicain de la norme que l’on retrouve au cœur de la
problématique de l’intégration. La République, grande et généreuse, ne
demanderait qu’à « intégrer » ses plus ou moins nègres, ses plus ou
moins arabes, ses plus ou moins immigrés. Il leur suffirait pour cela
d’un peu de bonne volonté : être un peu moins nègres, un peu moins
arabes, un peu moins immigrés. Il leur suffirait de travailler à leur
« enracinement », et de convertir la nationalité française dont la
plupart jouissent déjà en ascendance gauloise. Il leur suffirait de
passer du statut d’indigènes au statut d’autochtones. De se blanchir
dans une France blanche, de manger du porc dans une France charcutière,
de libérer leurs chevelures dans une France où la liberté capillaire
semble devenue identitaire. Le discours réel de l’intégration est
l’injonction à l’assimilation, l’injonction à devenir conforme à la
norme dominante ; au pire, à demeurer invisibles. C’est l’affirmation
hégémonique du communautarisme gaulois. En somme, l’intégration
républicaine, c’est le passage au laminoir.

Comment s’étonner, dès lors, que les nouvelles générations d’enfants
issus de la colonisation soient tentés de répondre par un goguenard :
« Va te faire intégrer » ? Comment s’étonner que le 8 mai 2005, les
Indigènes de la République aient défilé aux cris de « Intégration ?...
Non ! Non ! Non ! ». Le mot d’ordre d’intégration, dans la mesure où il
passe par la négation des identités minoritaires, est un mot d’ordre de
guerre civile, et le refus de la guerre civile passe par le refus de ce
mot d’ordre. Pendant des générations, les personnes issues de la
colonisation se considéraient comme « de passage » sur l’hexagone. Ils
gardaient et transmettaient à leurs enfants le mythe du retour « au
bled ». Qu’on les considère alors comme des étrangers pouvait leur
sembler naturel, même si le sort réservé aux étrangers leur semblait
injuste et dur. Le racisme dont ils faisaient l’objet se confondait
avec la xénophobie. Mais dans les années soixante-dix, a été instauré le
principe du regroupement familial.

Vingt ans plus tard, une génération nouvelle faisait surface. Pour
elles, pour eux, le mythe du « retour » dans un pays qu’ils ne
connaissaient généralement pas n’avait plus de sens. On leur a donc
servi le mythe de l’intégration républicaine. Les Italiens, les
Polonais, les Portugais, les Espagnols avaient souffert. Puis leurs
enfants étaient devenus français. Il devait en aller de même pour les
« nouveaux venus ». On dit alors aux enfants des Maghrébins et des
Subsahariens vivant en France qu’il leur suffisait de s’intégrer. Qu’il
leur suffisait de devenir comme tout le monde, et qu’ils seraient
traités comme tout le monde. Il suffisait d’un peu de patience, et d’un
peu de bonne volonté. Certains ont cru à ce mirage, et s’aperçurent
qu’ils avaient été floués. Ils s’étaient coupés de leurs parents,
avaient acquis un solide mépris pour leurs traditions et leurs
cultures, mais ils restaient les « bougnoules de service ». On les acceptait dès
lors qu’ils étaient l’Arabe que l’on voulait bien voir, mais dans la
foule, on continuait de les confondre avec les autres. Mohamed devenait
Momo. Mais il vivait sous le regard méprisant des autres, et bientôt
sous le sien propre. Il suffisait aux filles de se couper de leurs
familles pour avoir droit de cité.

La génération des « marches pour l’égalité » de 1983 1984, et 1985 a
voulu se démarquer de ce contre modèle. « Première, deuxième, troisième
génération ! On est tous des enfants d’immigrés ! » Autrement dit :
« Dans le fond, nous sommes comme vous ! » On a feint de les entendre,
mais le prix qu’on leur demandait de payer pour être vraiment admis
était trop fort - et de toutes façons toujours insuffisant. Quand bien
même ils joueraient le jeu de l’intégration, ils buteraient sur la
réalité des discriminations. Sur la trace de leurs aînés, les jeunes se
sont mis à étudier. Les parents les y ont poussés, sans craindre de les
voir en fin de compte tourner le dos à tout ce qu’ils étaient. Malgré
les barrages d’une orientation scolaire discriminante, malgré les
difficultés liées aux milieux sociaux dont la plupart étaient issus, à
la force du poignet, des dizaines de milliers d’entre elles et d’entre
eux ont acquis diplômes et savoirs. Mais ils ont refusé de se couper de
leurs familles, de leurs frères et sœurs moins chanceux, de leurs
« cités » d’origine. Ils n’ont pas abjuré ce que la vie se serait en
toute hypothèse chargée de leur rappeler : leur appartenance à une
minorité visible. Certaines et certains revendiquent leur culture
musulmane, et acquièrent sur leur religion des savoirs que leurs
parents eux-mêmes n’avaient jamais eus. Certaines et certains s’engagent dans
les luttes sociales, dans la vie associative. Beaucoup demeurent des
déclassés. Portiers d’hôtel à bac plus huit, ingénieurs au chômage,
surdiplômés salariés de méchantes boutiques de téléphonie ou de
restauration rapide, doctorantes employées de télémarketing, ils
savent, elles savent, que cette société ne les considère que comme des
indigènes. L’assomption, la reconnaissance, la fierté de leur
appartenance communautaire a beau leur être reprochée, cela constitue
une part de leur identité. Pour la plupart, ils et elles ont la
nationalité française, mais la société, toute imprégnée de
communautarisme majoritaire, continue de jeter sur elles et sur eux le
regard méprisant qu’elle jette sur les « étrangers » - lorsque ce sont
des étrangers du « sud ».

Dans une tribune publiée par le journal /Le Monde,/ les Indigènes de la
République écrivaient :

/« Le fait est que nous ne sommes pas plus « intégrationnistes » que
« communautaristes ». Nous ne considérons pas que la République fait un
honneur particulier à ses anciens colonisés en les accueillant chez
elle. Nous ne considérons pas qu’ils doivent lui en être
reconnaissants.
Ils sont ici chez eux, elles sont ici chez elles. Nous sommes ici chez
nous, c’est-à-dire, que l’on ait ou non la nationalité française, dans
un pays où chacune et chacun doit jouir des mêmes droits, sans avoir
l’obligation de se fondre dans une quelconque identité majoritaire.
Chez soi, c’est-à-dire avec un droit absolu à l’ostentation de ce que l’on
est. Chez soi, c’est-à-dire dans une égalité de droit, de dignité,
d’espérances »./

Le mot d’ordre des militantes et des militants de ce que l’on continue
à appeler « l’immigration » a désormais changé. Il ne s’agit plus de
demander à la société de se regarder en face. Il s’agit de l’informer
qu’il n’y a plus de concession possible :

/« Première, deuxième, troisième génération ! On s’en fout ! On est
chez nous ! »/

*Laurent Lévy *

*8 novembre 2005*

Ce texte est extrait du /Spectre du communautarisme/, qui vient de
paraître aux éditions Amsterdam. Un autre extrait (L’introduction du
livre) est disponible en ligne sur le site des éditions Amsterdam :

http://www.editionsamsterdam.fr/extraits/Levy_Le_Spectre_du_communautarisme_Introduction.htm


Notes:

[1] Publiées sur ce site, dans la rubrique "Des mots importants",
entrée "Communautarisme" : http://lmsi.net/rubrique.php3 ?id_rubrique=56
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